L’un émerge au siècle des lumières, en plein siècle des Lumières. L’autre est pensé cent ans plus tard, au cœur de la révolution industrielle. S’ils appartiennent à des époques différentes, les sites de la Saline royale, dans le Doubs, et du Familistère, dans l’Aisne, partagent des similitudes dans leurs intentions et leur conception.
La Saline royale d’Arc-et-Senans
Au 18e siècle, le sel est une denrée essentielle, utilisée pour la conservation des aliments. À Salins-les-Bains, l’être humain exploite depuis le Moyen-Âge les eaux salées naturelles en les chauffant à haute température pour en extraire le sel. Mais ce procédé amenuise les ressources de bois, alors que la demande, elle, est de plus en plus forte. En 1773, la construction d’une Saline royale est alors décidée, entre les villages d’Arc et de Senans, à mi-chemin entre Salins et la forêt de Chaux.
Refléter l’ordre social par l’architecture
Louis XV confie sa conception à l’architecte Claude-Nicolas Ledoux, alors très en vogue. Il a de grandes ambitions pour le lieu, qu’il souhaite d’une forme « aussi pure que celle du soleil dans sa course ». Les onze bâtiments, organisés en arc de cercle parfait, ont chacun une fonction précise : lieu de production, administration, habitat des ouvriers, maison du directeur, gardiennage… Au-delà de la simple production, Ledoux poursuit ici une utopie inspirée des Lumières : une société juste, harmonieuse, où l’architecture reflète l’ordre social. Son projet allait d’ailleurs bien au-delà d’un site industriel : il avait en tête une cité idéale avec ses logements, son école, son hôpital, qui ne vit jamais le jour pour des raisons économiques et politiques. La Saline a fonctionné pendant plus d’un siècle avant d’être peu à peu abandonnée. En 1967, le Département du Doubs l’acquiert et y entame un vaste projet de restauration, pour aboutir au centre culturel d’aujourd’hui. Une soixantaine de maquettes retraçant le projet architectural sont exposées au musée Claude-Nicolas Ledoux, au cœur de la Saline.
Le Familistère de Guise
Si le projet utopique de Ledoux ne s’est que partiellement réalisé, celui de Jean-Baptiste André Godin va quant à lui se concrétiser un siècle plus tard. C’est en lisant le journal local que ce chef d’une entreprise de poêle en fonte de fer installée à Guise, dans l’Aisne, découvre les théories du philosophe Charles Fourier. Ce dernier rêvait d’un phalanstère : une communauté idéale, harmonieuse, en opposition à la société capitaliste qu’il jugeait injuste et inefficace. Convaincu que progrès social et performance économique sont compatibles, Godin applique ces principes à son entreprise.
Une organisation sociale complète
Construit entre 1859 et 1884, le Familistère est un ensemble architectural complet, pensé pour améliorer les conditions de vie des ouvriers. Le Palais social, où logent ces derniers et leurs familles, est conçu pour offrir un cadre de vie sain et agréable : chaque appartement bénéficie d’une bonne luminosité, d’une ventilation de l’air efficace et d’un accès à l’eau potable. Le Familistère abrite aussi plusieurs équipements collectifs : un bâtiment pour les économats (magasins coopératifs), une buanderie-piscine, un théâtre, une école, une crèche, et un jardin d’agrément.
En 1889, un an après la mort de Godin, le Familistère abrite 1 748 habitants. L’entreprise et le Familistère, transformés en coopérative de production confiée aux ouvriers, fonctionne encore quelques décennies avant d’être dissoute en 1968. Entièrement réhabilité, le Familistère est aujourd’hui un site-musée : le public peut y découvrir son architecture singulière, son histoire sociale, ainsi que des appartements témoins. Certains, dans l’aile droite du Palais social, sont encore habités par des descendants d’ouvriers.
Chaque année, les deux sites ouvrent leurs portes et proposent des visites inédites à l’occasion des Journées européennes du patrimoine.
Découvrez la programmation de la Saline royale d’Arc-et-Senans et celle du Familistère de Guise sur le site des Journées européennes du patrimoine 2025.
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